Parti pris pour une école plus consciente donc plus égalitaire

Parti pris pour une école plus consciente donc plus égalitaire

by Boris
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Article librement inspiré d’une formation anti-sexiste proposée par le syndicat SUD-Education  de Charente-Maritime.

État des lieux des disparités de genre à l’école

Janvier 2019, quelques semaines après la reprise des cours. Certain.e.s n’y retournent qu’à reculons, l’œil humide et nostalgique des vacances. D’autres, au contraire, ont déjà les yeux levés vers les examens de fin d’année. Il y a ceux et celles qu’on dit commodément « bavards », « fayots », « cool », « solitaires », ou « lymphatiques ». Il y a tous les autres, pourvu qu’on puisse rabaisser leur identité à un ou plusieurs traits de caractère largement galvaudés. Il en va de même des enseignant.e.s, jugé.es parfois positivement, plus souvent moqué.e.s, presque toujours stéréotypé.e.s.

A regarder de la rue, ou du fond de sa mémoire, l’école apparait sous la forme d’une foule bigarrée, franchement bruyante, régie par des règles explicites autant que par des usages tacites. Ces derniers concourent au maintien d’un ordre oppressif pour beaucoup, inégalitaire et intrusif. Pour autant, l’éducation nationale s’enorgueillit d’un traitement et d’un enseignement équivalent, pour toutes et pour tous, sans égard aux origines sociales ou aux sexes. Pour ce dernier point, qu’en est-il vraiment ?

Si l’on s’intéresse aux vérités froides des résultats statistiques, il est aisé de constater que l’école ne sourit pas moins aux filles qu’aux garçons, bien au contraire. En bref, on apprend dans le rapport du ministère afférent paru en 2018[1] et disponible ici qu’en moyenne :

  • les garçons sont plus nombreux à sortir du système scolaire sans diplôme ou avec le brevet seulement (4 points d’écart) ;
  • les filles redoublent moins que les garçons ;
  • les filles réussissent mieux au bac, quelle que soit la filière (5 points de plus tous bacs confondus, jusqu’à 10 points d’écart pour l’ensemble d’une génération).

S’il est tentant de se gargariser de tels résultats et de démonter au passage quelques préjugés résilients (non, les filles n’ont pas de moins bonnes notes en sciences, au contraire), comment ne pas s’interroger sur l’origine d’écarts si éloquents ? Les résultats semblent certes favorables aux filles, mais ils sont avant tout le témoin de fortes disparités entre les sexes. Il n’y a qu’à regarder du côté des choix d’orientation, notamment au lycée [2] :

  • en seconde générale : l’enseignement d’exploration « Santé et social » compte 84 % de filles, contre 17 % pour l’enseignement « sciences de l’ingénieur » ;
  • en première : après une seconde générale, si les filles s’orientent majoritairement vers la filière scientifique[3], elles y seront cependant moins nombreuses que les garçons (47% de filles en S). A l’inverse, 80 % des élèves de 1ère L sont des filles ;
  • en terminale S : 50 % des filles font le choix de la spécialité « SVT », contre 26 % des garçons.

Les filles s’orientent généralement vers des filières moins porteuses d’emploi, moins bien rémunérées. Les exemples sont nombreux, pour d’autres filières et à d’autres moments de la scolarité, dans le supérieur notamment (voir figure ci-après). Ces exemples sont d’ailleurs autant discutés en privé qu’ils sont tus dans les débats publics, évoqués seulement à la faveur de sempiternels marronniers de septembre. Leur remise en question exige une visibilité supérieure.

Fig 1 : Repères et statistiques sur les enseignements, ministère de l’éducation nationale, 2011

Le sexe influe bel et bien le parcours des élèves à l’école, tant du point de vue de leur santé (agression sexiste) que de leurs résultats et de leurs orientations. A la personne qui objecterait que son parcours n’est que le fait de ses propres aspirations, loin de toute injonction sociale : s’est-elle posée la question de l’origine de ses goûts ? Justifier ses choix d’orientation par un tropisme qui serait uniquement personnel est à la fois facile et rassurant, se confronter aux véritables fondements de ses choix est en revanche vertigineux pour tout adolescent qui se prendrait réellement à l’exercice. Car penser sincèrement son orientation, à temps ou à rebours, c’est aussi reconnaitre la part du déterminisme qui est à l’œuvre en soi.

Si la société et l’éducation de l’enfant sont à la base des stéréotypes de genre, il est nécessaire de penser le rôle de l’école dans leur développement/régression. Les inégalités de genre ne font-elles que lui survivre, ou bien les encourage-t-elle, quoique de manière involontaire ?

Du sexisme à l’école

La littérature qui traite du sexisme à l’école est riche et documentée. La plupart des études qui s’y rapportent – dont des enquêtes internes à l’éducation nationale – sont notamment disponibles en trois cliques sur internet. Les quelques lignes qui suivent n’ont vocation qu’à rediriger le ou la lecteur.ice curieu.se.x vers ces études autrement plus détaillées.

Trois lieux tout d’abord, qui constituent autant de moments clefs dans le parcours scolaire de chaque élève :

  • La récréation, dans la cour éponyme, quand les élèves sont majoritairement entre eux ;
  • Le cours, quand ils sont avec/face au professeur.e ;
  • Le conseil de classe, l’Hydre qui décide de leur évaluation et de leurs orientations.

Soyons francs : chacun de ses lieux entretient voire renforce, à sa manière, les inégalités de genre. Voici – très succinctement – pourquoi.

La cour de récréation pas épargnée par le genre

Alors que la question du genre dans l’urbain est de plus en plus discuté, et que des articles/livres sortent depuis quelques années à ce sujet (lire Yves Raibaud ici, l’écouter là-bas), il est difficile de ne pas interpréter la cour de récré, tant du point de vue de son aménagement que de son organisation, par le prisme du genre, et d’y déceler des moteurs d’inégalité. Un exemple : la surface et la position occupées par le terrain de foot. Seuls les garçons obtiennent généralement le droit d’y jouer, ce qui revient d’une part à priver les filles d’un pan important de la cour, et d’autre part les contraint à des détours dans leurs déplacements. Plutôt que d’offrir un espace inclusif, respectueux des envies de chaque enfant, l’école renforce l’invisibilisation/la mise à l’écart des filles, des personnes transgenres et des enfants non valides.

Des manuels qui reproduisent les stéréotypes de genre

La question des supports d’enseignement reste également prégnante, bien que des efforts aient été réalisés depuis l’époque – pas si lointaine – où l’on dispensait, dès le plus jeune âge, des cours d’enseignements ménagers aux jeunes filles [4].

Le centre Hubertine Auclert – du nom de la féministe française – est un organisme francilien qui lutte pour l’égalité homme-femme. Il a publié en 2015 un rapport suite à l’étude, sous le prisme des inégalités de genre, de 22 manuels scolaires de lecture du CP édités entre 2008 et 2015 et parus dans 10 maisons d’édition différentes. Les résultats sont édifiants. Le centre a constaté :

  • La sous-représentation des femmes/filles (sur les 13 192 occurrences – texte ou image – de personnages recensés dans l’ensemble des manuels, il y n’a que 39 % de femmes contre 61 % d’hommes).
  • La présence d’une iconographie porteuse de nombreux stéréotypes, que ce soit dans l’habillement ou dans les activités des personnages (les filles à l’intérieur, les garçons à l’extérieur, les filles sous-représentées dans les activités sportives, femmes pratiquant des activités ménagères, etc.) ;
  • L’invisibilisation des personnages féminins, notamment par l’utilisation du genre masculin comme catégorie universelle (par exemple : les « habitants », les « villageois » et que dire des « hommes », utilisé pour les « humains ».)

Et le centre de conclure « alors même que la lecture représente une acquisition d’autonomie pour les enfants […] les manuels de lecture de CP sont manifestement vecteurs d’une vision restreinte du champ des possibles pour les filles et les garçons dès leur plus jeune âge ». Vision restreinte qui conduit inlassablement à une forme d’autocensure au moment de choisir son orientation.

Pygmalion, figure du sexisme ordinaire

Autre source d’inégalités : la relation entre l’élève et l’enseignant.e, notamment au travers de l’effet « Pygmalion », du nom du sculpteur grec célèbre pour son talent et son heureuse mysoginie – heureuse car récompensée[5]. D’après Wikipédia qui est toujours bien informée, cet effet désigne « une prophétie auto-réalisatrice qui provoque l’amélioration des performances du sujet en fonction du degré de croyance en sa réussite ». Bref, plus le professeur est persuadé de la réussite de l’élève, plus elle sera effective. Des Frédéric II d’Amérique ont réalisé une expérience relatée ici qui tend à prouver l’existence de cet effet.

Le rapport avec les inégalités de genre à l’école, le voici : Il n’est pas nécessaire d’être un.e enseignant.e ouvertement sexiste pour conforter – c’est-à-dire enfermer – les élèves dans leur genre. Confronté.e à une bonne centaine d’élèves différent.e.s, l’enseignant.e est dans l’incapacité de leur donner à tous et à toutes l’attention qu’ils méritent – mémoriser le prénom des élèves n’est certes pas le gage d’une bonne connaissance de leur psychologie particulière. Il s’en suit que l’enseignant.e aura tôt fait de classer ses élèves selon des catégories éminemment genrées : au fond de la classe, à gauche, des filles pipelettes, à droite, un groupe de mecs un peu branleurs. Il s’entend que ces deux adjectifs sont difficilement transposables.

Ces jugements genrés sont manifestes à l’heure du conseil de classe. On demande alors aux enseignant.e.s d’apprécier le comportement et/ou le travail de chaque élève. Pour un enseignant.e qui doit rédiger plus d’une centaine d’appréciations, la tentation de recourir au copier/coller est grande [6]. Dès lors, il n’est pas rare que l’appréciation soit involontairement empreinte de stéréotypes genrés.

Saurez-vous par exemple, déterminer le sexe de l’élève auquel est destinée chacune de ces authentiques appréciations [7] ? La correction est fournie dans la légende.

Fig 2 : Appréciations, toute matière et enseignant.e.s confondu.e.s destinées à des élèves de 2nd (rep : 1/F, 2/G, 3/F, 4/G, 5/G, 6/F, 7/F, 8/G, 9/G, 10/F)

Si votre résultat est bon, c’est que vous avez parié à raison sur le genre de certains qualificatifs. « sérieuse », « impliquée », « attentive » pour les filles. Les termes « potentiel », « capacité » ou encore « dispersion » pour les garçons. Si un commentaire genré peut sembler anodin, il incite en fait inconsciemment l’élève à s’y conformer. La remarque usitée « élève brillant / gâche son potentiel par manque d’investissement », qui colle souvent au dos de garçons peu rigoureux, les incite malheureusement à persévérer dans leur dilettantisme. On flatte leur intelligence dormante tant qu’ils ne se mettent pas au boulot. Si au contraire, ils font des efforts et n’en sont pas récompensés, leurs enseignant.e.s pourraient revoir ce jugement globalement flatteur. Ils ont donc tout intérêt à poursuivre dans le rôle de l’élève distrait et brouillon.

A l’inverse, on qualifie plus souvent une élève moyenne de « rigoureuse », ou encore « d’appliquée ». Sous-entendu, au maximum de ses capacités.

Pour une école plus consciente

Les mécanismes du sexisme scolaire étant plus insidieux qu’autrefois, nombreux sont les membres de l’équipe pédagogique à ne pas avoir conscience de ses rouages. Pour combattre les inégalités de genre, une prise de conscience du rôle de l’école dans leur construction est pourtant nécessaire. En cela, le développement de formations antisexistes comme SUD Education en propose est essentiel. Elles permettent une autocritique sincère, sans culpabilisation du monde enseignant.

L’école ne doit pas attendre que la société évolue pour que les disparités constatées en son sein s’amenuisent. Elle doit au contraire, comme elle l’a montré à plusieurs reprises par le passé[8], être le moteur du changement des mentalités. En passant, cela concerne aussi bien l’égalité homme-femme que le respect des personnes transgenres.

Notes

[1] Filles et garçons, sur le chemin de l’égalité de l’école à l’enseignement supérieur. L’étude est réalisée à partir de données de 2015 et 2016

[2] ibid

[3] 30 % des élèves

[4] Il s’agissait, jusqu’au milieu des années 1970, de « raisonner les pratiques domestiques à partir des principes scientifiques appliqués aux cuissons, à l’entretien du linge, à l’hygiène, à la puériculture. » Joël Lebeaume, auteur de L’enseignement ménager en France. Sciences et techniques au féminin, 1880-1980, Rennes, PUR, 2014.

[5] « Pygmalion, pour les avoir vues mener une existence vouée au crime, plein d’horreur pour les vices que la nature a prodigalement départis à la femme, vivait sans épouse, célibataire » puis « La vierge sentit les baisers qu’il [Pygmalion] lui donnait et rougit ; et, levant un regard timide vers la lumière, en même temps que le ciel, elle vit celui qui l’aimait. A leur union, qui est son ouvrage, Venus est présente. » Ovide, Les Métamorphoses, livre X

[6] L’auteur de ces lignes confesse à regret cette pratique.

[7] Il s’agit d’appréciations réellement rendues à des élèves de 2nd, pour différentes matières c’est à dire de la part de différent.e.s enseignant.e.s. Les appréciations ont été rendues « neutres » pour l’exercice.

[8] Première femme autorisée à passer le baccalauréat (et à l’obtenir) en 1861, première femme à donner des cours de science à la Sorbonne en 1884, unification des programmes garçons/filles en 1924, …

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