La séduction hétérosexuelle : Le désirant, la désirée ?

La séduction hétérosexuelle : Le désirant, la désirée ?

by Juliette Hamon
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La séduction : Entre intimité et publicité

Au regard de son étymologie, la séduction porte des racines connotées négativement : « tromper », « entraîner quelqu’un à commettre une faute », « abuser », le sens donné à ce mot au XIIe siècle était très péjoratif. Plus tard, le mot se transfigure et porte de nouvelles significations, dont « plaire », « charmer », « attirer quelqu’un » mais aussi « détourner quelqu’un du droit chemin ».

Quelle est l’implication du genre dans le processus de cour romantique hétérosexuelle, et quelle est son évolution ?


Cet article s’intéresse uniquement à la séduction romantique hétérosexuelle, séduction que E. Goffman nomme « la cour » dans L’Arrangement des Sexes (Goffman, 1977).

La séduction en tant que prémisse d’une relation intime revêtait, dans la tradition romantique (Habib, 1998), différentes modalités selon le genre de la personne. La séduction est un haut lieu de performance et de constitution des capitaux individuels de féminité et de masculinité ou, en sortant d’un système binaire, des capitaux individuels de genre exprimé. Dans sa version hétérosexuelle, la séduction se caractérisait traditionnellement par «un jeu d’attirance réciproque des contraires ou du moins des différents» entre le masculin et le féminin (Péroff, 2007). C’est ainsi qu’apparait une tension entre les aspirations à la correspondance aux normes genrées et les aspirations à une identité personnelle, originale et moins binaire.

Asymétrie de l’approche : Le désirant, la désirée.

« Comme on l’a souvent remarqué, le système de la cour implique que les deux sexes aient des situations différentes au regard des normes de l’attraction sexuelles. Manifestement, l’affaire de l’homme est d’être attiré et celle de la femme d’attirer. »

Goffman, 1977

Comme tout jeu, celui de la séduction dispose de nombreuses règles auxquelles les participants doivent adhérer pour participer. Le jeu de séduction induit une anticipation des attentes de l’autre et donc, dans certains cas, une forme de soumission à des critères et des normes communes, à des règles de jeu strictes.

Dans L’arrangement des Sexes, E. Goffman décrit les acteurs de la cour romantique hétérosexuelle comme un couple de désirant/désirée, le premier étant l’homme et le deuxième la femme.

Le moment de la séduction reste une zone de tension où se joue une négociation constante entre l’intime avec ses contingences et le public qui se doit d’être performé canoniquement.

Pour enclencher le processus de cour, les femmes revêtaient un rôle passif dans lequel elles « se parent en fonction d’idées reçues sur l’attirance sexuelle qu’elles peuvent exercer et se préparent pour réussir leur apparition dans les lieux publics, semi-publics et privés » (Goffman, 1977). La dichotomie homme actif / femme passive incombait à l’homme comme à la femme la prescription de comportements : l’homme se devait de faire le premier pas, la femme d’attendre son arrivée.

E. Goffman expliquait ce phénomène par l’idée que l’identité sexuée se construit plus aisément dans une société d’interconnaissance (Sabarot, 2013) où il s’agit d’être ce que l’autre n’est pas. Pour répondre à cette attente, les identités se devaient d’être le plus prononcées possible dans un certain sens. Dans le processus de cour romantique ou de séduction, cette voix de la facilité serait utilisée pour donner un repère à l’interlocuteur et participer d’un renforcement mutuel de l’identité. À l’aide de pratiques identificatrices, l’interaction située dans un moment de séduction amplifierait les identités genrées pour rendre compréhensible la personnalité des deux interlocuteurs le plus rapidement et aisément possible. Aussi, la performance de genre tendait à s’orienter vers un idéal de genre, mêlant ainsi la construction mutuelle de l’identité et l’approche d’un objectif canonique.

L’attirance des contraires, vraiment ?

Le duo actif / passive présent dans la séduction n’est que reproduction microsociale d’un système macroscopique. Françoise héritier dans Masculin féminin énonce les raisons de ces différenciations genrées : C’est dans l’observation des dichotomies touchant aux organes de reproduction des corps masculins et féminins qu’elle explique la hiérarchie arbitraire des sexes. Faisant ainsi écho à Simone De Beauvoir et au Deuxième Sexe, les thèses de la valence différentielle des caractéristiques selon que l’on soit homme ou femme proviennent historiquement de la physiologie de la fécondation, dans laquelle la femme est considérée comme passive et l’homme actif.

Dans cette pensée naturalisante, le désir et la séduction semblent être des émanations sociales de ce qui serait des différences fondamentales entre les hommes et les femmes. Performées sous un comportement corporel notable, les différences de comportement qui expliqueraient la différenciation des rôles sociaux et son rapport de domination ne sont en fait que des produits de cette dernière (Sintomer, 1999).

La domination masculine (Bourdieu, 1998) (domination sociale, économique et affective) faisait traditionnellement de la séduction romantique une démarche à portée différente pour les deux sexes. Comme l’écrit Etty Hillesum en 1943, « Le centre de gravité de la femme se trouve dans tel homme particulier, celui de l’homme se situe dans le monde ». Longtemps, dans les sociétés occidentales, la femme n’a pu être au monde que par le biais d’un homme, d’un mari, d’un mariage. Étant ainsi dépendante sur tous les points, la femme était dés le plus jeune âge intéressée -de gré ou de force- par tout ce qui gravite autour de l’union avec un homme. Elle se forgeait ainsi une expertise dans la compréhension des désirs masculins et dans la reconnaissance des sentiments amoureux.

Le moment de séduction et la sexualité initiale incombaient à la femme la responsabilité du travail affectif dans la cellule sociale qu’est le couple. Dans Pratique de l’amour : Plaisir et inquiétude, Michel Bozon met à jour cette notion d’inégalité de division du travail affectif en parlant du couple gestionnaire/utilisateur où la gestionnaire était traditionnellement la femme, l’utilisateur l’homme. Elles ont la responsabilité d’intéresser l’homme au couple et de faire perdurer l’histoire.

Séducteur VS Séductrice

« Les champs lexicaux de la chasse et de la guerre renvoient à une vision de la séduction dans laquelle il y a forcément domination d’un être par un autre, du chassé par le chasseur, de l’agressé par l’agresseur. Dans cet univers, c’est la femme qui constitue le chassé et l’agressé, c’est elle qui, de proie devient victime, puis termine brandie comme un trophée. »

Duma, 2013

Les techniques de drague offensives pourraient être une démonstration d’une virilité axée autour du jeu de la chasse (Duma, 2013) où la force physique et la logique sont sollicitées dans une démarche qui va vers l’extérieur, qui veut conquérir et/ou contrôler la sphère externe. Dans la dichotomie masculin/féminin, la chasse se voit aussi transfigurée en fonction de son sujet. Si elle est perpétrée par un homme masculin hétérosexuel, la chasse peut être assimilée à cette qualité masculine et valorisée. Elle a une dimension presque universelle et ludique. En revanche, la femme qui rentre dans une démarche de « chasseuse » sort de la femme ordinaire, devient a-normale. Cette attitude de séductrice est traditionnellement interprétée comme la sortie de la femme de son rôle affectif et de son assignation à la filiation. Ici, le ludisme se transforme en logique malveillante, sanguinaire. C’est d’ailleurs au mythe de la femme mante-religieuse que la chasseuse, la désirante, la séductrice sera rapportée (De Beauvoir, 1949).

La situation contemporaine semble être un entre-deux où les rôles sont dilués et interchangeables. Perdure quelques paradigmes sur la démarche séductionnelle, cependant, il semblerait que le schéma désirée/désirant ait la vie dure : les femmes semblent plus agissantes, l’initiative masculine elle diminue avec la baisse de la dépendance affective et sociale des femmes.

Dans un récent article du Monde « La drague triste en Allemagne », le journaliste décrypte des « nouveaux codes amoureux » dans lesquels les hommes allemands ne se conformeraient pas (plus) à cette démarche « conquérante » qui leur prescrivait de faire le premier pas. L’article se termine sur ce constat : les femmes françaises expatriées en Allemagne, habituées à l’initiative séductrice des hommes, seraient désarmées face à cette nouvelle retenue masculine. Une question seulement n’est pas abordée : Les femmes font-elles plus le premier pas face à ce nouveau schéma de séduction ? Sans chercher à abolir le schéma de drague traditionnel, le remettre en question, s’approprier l’interrogation et se libérer des injonctions ne peut être que bénéfique pour des histoires toutes singulières. Le carcan de la dichotomie actif/passive, bien qu’ébranlé, survit encore dans les mœurs, bride des comportements féminins et accule des actions masculines. Amoureux.ses, séducteur.ice.s : faites le premier pas !

Bibliographie

D. Lemieux, La formation du couple racontée en duo, Sociologie et Société Vol.XXXV.2 (2003)

E. Goffman, L’arrangement des sexes, La Dispute (1977) C. Habib, Le consentement amoureux, Hachette (1998)

E. Hillesum, Une vie bouleversée, Les Éditions du Seuil (1995)

M.L. Déroff, La part de la sexualité, une sociologie du genre et de l’hétérosexualité, PU Rennes (2007)

O. Sabarot, Séduire : agresser ou charmer ? Un aperçu historique, Ethnologie française Vol.43 (2013)

F. Héritier, Masculin/Féminin : la pensée de la différence. Tome 1, Odile Jacob (1996) S. De Beauvoir, Le deuxième sexe, Gallimard (1949)

Y. Sintomer, Autour du livre de Pierre Bourdieu : la domination masculine, Travail, Genre et Société N°1 (1999)

P. Bourdieu, Le corset invisible : Entretien avec Catherine Portevin, Télérama n°2534 (1998)

M. Bozon, Pratique de l’amour : Plaisir et inquiétude, Payot (2016) G. Simmel, La coquetterie (1890)

S. Dayan-Herzbrun, Production du travail amoureux et travail des femmes, Cahiers internationaux de sociologie Vol. 72 (1982)

J.J Rousseau, Emile ou de l’éducation, Gallimard (1762)
C. Duma, Séduire…Quand le genre joue à cache-cache, Université des femmes (2013)

M. Bozon, Entretien avec Renée Greusard « Division du travail affectif » en amour aussi, hommes et femmes sont inégaux, L’Obs (2017)

M. Bozon, Sociologie de la sexualité, Nathan (2002)

M. Bozon, Le hasard fait bien les choses : Sociologie de l’amour et du couple chez Eric Rohmer, Informations sociales N°144 (2007)

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