Haut degré d’intensité émotive, engagement mutuel, personnalisation de la sexualité et enjeux genrés : l’expérience « romantique » se structure de codes allant des plus intimes aux plus systémiques.
Je m’appelle Juliette, et j’ai intégré un master en étude sur le genre pour me lancer à bras le corps dans une recherche sur l’amour hétérosexuel. Grande amoureuse, je me nourris depuis toujours d’histoires romantiques, de correspondances amoureuses et de passions intimes. Je vous vois crisser des dents : « l’amour ne s’interroge pas, il se vit », « l’amour n’existe pas en soi» . Si mon prénom et mon choix de recherche peuvent sembler bien trop liés pour que ce soit une coïncidence, c’est avec résolution que j’habite ce déterminisme – et tant pis si la naïveté qui va avec me poursuit. Ce qui m’a mené à interroger notre rapport à l’amour, c’est bien-sûr que celui-ci a été placé au centre de ma vie sans qu’on m’ait consultée – et c’est le cas de nombreuses femmes. Que dans les films les seules figures féminines présentes soient amoureuses ou mères, que le besoin de validation et de protection se voit assouvi dans la conjugalité, que l’envie de chérir et de cajoler se dirige vers un seul homme, voilà des bons moules dans la fabrique des femmes. Toutes ces micro-représentations ont fait de moi la passionnée de l’amour que je suis. Je ne m’en plains pas, j’habite pleinement ces exaltations. Seulement, quelques couac sexistes viennent entraver mes aspirations à un amour idéal. Je décide donc de (tenter de !) mettre en lumière les rouages de l’indicible, et espère aboutir collectivement à un amour aussi puissant qu’égalitaire.
Une porte d’entrée : la séduction hétérosexuelle
En master, il nous faut construire un projet de recherche anglé et réalisable en une année de terrain. Puisque la thématique de l’amour hétérosexuel était bien trop large pour que je puisse construire une recherche sociologique pour mon seul cerveau, il m’a fallu trouver un de ses rituels les plus significatifs. Parallèlement au sentiment amoureux se développent de nombreux scénarios, rites d’interaction, situations particulières. Je décide de concentrer ma recherche universitaire sur la séduction romantique (hétérosexuelle chez les personnes cis) parce qu’elle me semble être le haut-lieu de transformations des mœurs amoureuses et genrées. La remise en question des scénarios de la séduction hétérosexuelle française est un des points centraux de la rhétorique masculiniste et conservatrice. Entre « liberté d’importuner » et « puritanisme », la séduction hétérosexuelle française est la cristallisation de ce que Valérie Rey-Robert a décrit comme étant la « culture du viol à la française ». La séduction dite « féministe » semble être une réponse apportée autant par les militant.e.s que par la population « conscientisée ». Cette nouvelle séduction reposerait sur le postulat que la séduction hétérosexuelle traditionnelle s’inscrit dans un schéma traditionnel d’homme désirant versus femme désirée (voir Goffman, « L’arrangement des sexes »). En ce sens, la séduction porte en elle le point central du système patriarcal, c’est-à-dire les oppositions actif/passive, chasseur/proie, culture/nature etc. Je vous renvoie à cet article que j’avais écrit à ce sujet.
Voilà pour la recherche universitaire. En vérité, c’est vers l’ensemble des sentiments amoureux de l’hétéro-sexualité en tant que système normatif que ma recherche sur la séduction me mène. Par la porte de la séduction, nous pouvons autant interroger la co-construction du masculin et du féminin, que ce qui est perçu comme séduisant/valorisant voire moral, les techniques de discours, le rapport aux passions etc. En observant comment, pour séduire, on se conforme à ce que l’on pense hégémonique et consensuel, on peut approcher une compréhension de ce qu’une société valorise, une compréhension de la transformation sociale.
Le questionnement général : qu’est-ce que l’amour ?
À l’heure de la démocratisation des problématiques sociales, l’objectif est à la « déconstruction » totale. Cela induit que les positionnements sur l’amour me paraissent toujours binaires : soit il est vu comme inexplicable, providentiel et hors de toute construction sociale; soit il est admis comme construction sociale polluée d’inégalités et jeté aux oubliettes. Alors, c’est quoi l’amour ? Toute construction sociale serait-elle à bânir ? Ne serait-ce pas un naturalisme que de chercher une déconstruction totale ? Comment penser des constructions sociales égalitaires ? Parallèlement, malgré un avènement de la « conjugalité réaliste« , la notion d’amour idéal reste très présente et se pare de nouvelles qualités : authentisme face à une société de la superficialité, recherche de transcendance et d’aventure, projet moral et militant en duo.
Finalement, dans l’ensemble de l’intimité romantique peut se jouer une tension entre les aspirations égalitaires et la pratique. Est-il possible de concilier conscience féministe et amour hétérosexuel ? Cette tension me semble très amplifiée par le fait que la position de la femme amoureuse soit peu remise en question, soit encore très largement valorisée et codifiée ; et par le fait que l’amour se pare de sacré.
Par ailleurs, la place immense que prend l’amour dans la « construction du moi » (voir Eva Illouz, « Pourquoi l’amour fait mal ? L’expérience amoureuse dans la modernité) et ses répercussions blessantes lorsque le sentiment ne répond pas à nos atteintes me semble valoir la peine de s’y intéresser.
À venir sur le blog…
C’est pour toutes ces raisons que je débute une série d’articles sur l’amour, au fil de mes réflexions, rencontres, découvertes (peut-être aussi pour me forcer à écrire ce que je trouve…) et pour échanger avec vous sur ces interrogations. J’en profite pour lancer l’Instagram des Mauvais Genres, (qui sera mon ancien instagram personnel) sur lequel je partagerai tous les bouquins et émissions radio que je croise traitant de ces sujets.
Les problématiques relevant de l’amour sont très nombreuses et passionnantes, et permettent plus que jamais de peser le pouvoir de la sociologie sur l’indicible, le mystique. Je tiens à préciser que ce n’est pas parce qu’une chose est expliquée qu’elle n’est plus ressentie. Evidemment, je m’interroge sur tous les mécanismes de l’amour, mais je reste une -très- grande amoureuse. Je pense aussi que les relations romantiques peuvent être un formidable espace de co-construction, un endroit où s’interroger, se nourrir, évoluer (non seulement je le pense, mais je le vis). J’essaierai donc d’apporter, au maximum, de la poésie dans ces articles et de laisser transparaître un espoir d’égalité dans l’amour. Notre projet : révolutionner l’amour.
Je vous laisse me dire si un point particulier de l’amour hétérosexuel vous interroge.
À très bientôt
Juliette
Pour une introduction sur les problématiques liées à l’amour :
- Le chapitre XII du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir
- Sociologie de la sexualité, de Michel Bozon
- « Pratique de l’amour », de Michel Bozon
- « En finir avec le mythe de la femme amoureuse » sur Cheek Magazine
- Entretien avec Guillaume Erner dans les matins de France Culture : Eva Illouz, « la fin de l’amour »
1 comment
Bonjour Juliette, je viens de lire votre article avec interet, et je me demande si vous avez deja lu les ouvrages de bell hooks sur l’amour? All About Love est le premier je crois, mais j’ai enormement aime et appris du troisieme, Communion. Je les recommande, pour une approche feministe et politique de l’amour! Hate de lire la suite de vos articles. PS: je crois que le lien vers la page insta ne marche pas?