Les révélations sur les actes malveillants commis par la ligue du lol nous incitent à réfléchir sur les codes cyniques de Twitter France et leur évolution.
Je prends le parti de parler au passé puisque j’aimerais prendre en compte l’évolution des mentalités des twittos et twittas les plus influent.e.s et donc de Twitter France. Cependant, même si cette explication parle d’un Twitter quasiment révolu, les stigmates sont toujours visibles : que ce soit du côté des cibles de harcèlement, des personnalités façonnées par cette socialité numérique ou du côté de la structure même de ce réseau social. Les bases fondatrices du réseau de la ligue du lol persistent toujours en partie dans notre Twitter actuel. Faisant partie de ce réseau social depuis quelques années, je me propose de porter un regard rétro-activement, sur Twitter en général mais aussi mes pratiques.

La ligue des bully déchus
Le boys club formé par les membres de la ligue du lol procède comme tout bon boys club : une position dominante, une volonté de distinction, une alliance homogène socialement, un pouvoir renforcé par la stigmatisation d’un.e autre. La notion de boys club n’exclut cependant pas entièrement les femmes : comme dans le rapport de domination hommes/femmes IRL, les femmes peuvent s’allier à leur « persécuteur » pour tenter de gagner en légitimité, tenter d’être moins violentées. Beaucoup de femmes l’ont fait, le font, et j’ai dû en être -au moins en partie. Ce phénomène est universel, pensons à une cour d’école : un groupe de bully se forme, ici uniquement composé de garçons. Si ce boys club de la récré se forme c’est non pas seulement grâce à la violence qu’ils évoquent, mais d’abord par la situation de domination sociale qu’ils représentent : ce sont des garçons, ils sont beaux, parlent bien et sont habillés avec le dernier pull DDP. Leur position leur permet d’être dédouanés de comportements violents psychologiquement, comportements qui auraient une toute autre résonnance s’ils étaient perpétués par d’autres élèves en position moins dominante. Toute la cour a peur d’être leur cible ; toute la cour est fascinée par eux. Le meilleur moyen de ne pas être leur cible est d’intégrer leurs codes et participer -activement ou passivement- à leur malveillance.
Voilà, le boys club de Twitter et tous ceux qui gravitaient autour étaient soit des loosers déchus, cherchant une revanche dans cette nouvelle vie que leur permettait Twitter, soit des bully des cours de récré qui perpétuaient leurs habitudes. En tout cas, tous avaient bien intégrés les codes de bully, soit en en étant un, soit en l’ayant observé. Maintenant, rajoutons à ce groupe de bully de cour de récré le réseau professionnel, la connaissance de l’esthétique « cool » et l’entretien de celle-ci par une volonté de distinction de classe, l’emplacement géographique favorisant (urbain) etc.
Au delà de la ligue, la malveillance de Twitter France
Entre les deux extrêmes des gentil.le.s d’un côté et des méchant.e.s de l’autre, une palissade d’agissements malveillants subsistait en lieu et place d’une hétérogénéité sociale. Autour des agissements juridiquement sexistes de la ligue du lol, l’internet qui se voulait « neutre » n’était en fait qu’un environnement socialement façonné par les utilisateur.ice.s. : pour Twitter France, un environnement cynique.
Les agissements de la ligue du lol ne sont pas ceux d’un groupe isolé, de vilains petits canards en marge du réseau social. Ils sont au contraire profondément ancrés dans le réseau et n’en sont qu’une émanation visible parce qu’extrême -mais ici encore, « extrême » ne veut pas dire « en marge ». Autour de cette extrémité maintenant mise en lumière gravitait une panoplie de malveillance, allant de la plus anodine à la plus systématique.
En fait, attiré.e.s par ces pôles extrêmes et influents, une partie des utilisateur.ice.s de longue date de Twitter France ont intégré ces codes cyniques, malveillants et brutaux pour les mettre à profit dans leurs tweets. Faire rire en blâmant, en décrédibilisant ou en ironisant est, de fait, devenu monnaie courante. Alors parallèlement aux harcèlements perpétués par la ligue du lol ce sont des milliers de moqueries nauséabondes, d’humiliations « subtiles » et de dégradations impunies qui entretenaient une norme intolérante, médisante et très sexiste. Les noms des journalistes cités sont ceux des comptes les plus influents, mais une palanquée d’autres comptes ont dispersé cette atmosphère intolérante et cynique, de cercles en cercles.
Nous devons à Twitter beaucoup de notre esprit critique actuel, d’abord parce qu’il permet d’être facilement renvoyé.e vers d’innombrables documents publiés sur Internet ; ensuite parce qu’il permet l’accès à une pensée forte exprimée par des éclaireur.euse.s en (feu) 140 caractères. De mon point de vue, c’est cette volonté de synthétiser une pensée forte qui a vrillé à force d’utilisation de sarcasme pour un effet punchline plus efficace.
Ce qui a donné un pouvoir rayonnant à ces tweets cyniques est une recette bien française : un savant mélange d’esprit critique (merci Descartes et sa tradition de remise en question) allié à une grammaire impeccable. Si l’un des deux éléments manquait alors l’utilisateur.ice de Twitter France ne rayonnait pas à ce point. Le revers de ce côté absolument critique, désenchanteur, de Twitter c’est le cynisme structurel. Quand plus aucun sujet, aucune réflexion de pouvait être prise au sérieux, sauf ceux des influent.e.s. Or, les sujets demandant du sérieux les plus fréquemment abordés étaient, et sont toujours, politiques et militants. C’est, il me semble, à cause de cette logique disant « tu ne fais partie du (boys) club, tu ne peux pas être légitime sur Twitter » que plus les utilisateur.ice.s existaient sur Twitter et/ou militaient pour une cause sur cette plateforme, plus ils ou elles étaient pris.es pour cible de moqueries.
Il semble néanmoins que, les bully les plus influents ayant changé leur code de conduite, les codes de Twitters France ont changé. #Metoo étant passé par là, la banalité d’un sexisme, d’un validisme, d’un racisme ou d’une grossophobie est devenue moralement répréhensible. Aujourd’hui, Twitter m’apparaît bien plus comme une plateforme progressiste, peut-être parce que cet esprit critique s’est débarrassé de son cynisme et s’intéresse à des problématiques avec bienveillance. Il ne reste plus qu’à attendre ce que dira le vilain tribunal Twitter de la prescription de ces actes.