Erotisme hétérosexuel : Comment désirer les hommes ?

Erotisme hétérosexuel : Comment désirer les hommes ?

by Isabelle Querlé
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Isabelle Querlé est autrice et coordinatrice du projet Hymen Redéfinitions. Egalement fondatrice d’un blog de réflexion féministe, elle est l’autrice d’une série d’articles traitant de l’érotisation d’un hommes au travers des vêtements.

Photo : Émile Friant. Le chapeau à fleurs (1892)

Johannes Vermeer, Femme écrivant une lettre (1666) (détails)

Pendant le confinement, pour me divertir, j’ai commencé à écrire un feuilleton intitulé Traité d’érotisme vestimentaire masculin dont chaque épisode explore une pièce du vestiaire « masculin » que je trouve érotique, excitante. 

L’idée m’est venue après cet épisode du podcast sur les masculinités des Couilles sur la table, Érotiser les hommes, où l’essayiste et peintre Maïa Mazaurette, y explique qu’il est important pour les femmes hétérosexuelles d’être actrices de leur désir envers les hommes et de pouvoir les exprimer. La réflexion d’Iris Brey autour du female gaze (qui se pose la question de comment mettre en scène dans les films un regard qui ne soit pas masculin) y est aussi pour beaucoup.

Je souhaitais revenir pour Les mauvais genres sur cette expérience d’écriture parce qu’écrire son désir pour les hommes en tant que femme ne va pas de soi particulièrement dans la situation de domination qu’entraîne l’hétérosexualité  (A ce propos, lire le texte de Juliet Drouar Une meilleure retraite pour sortir de l’hétérosexualité). Cet article répondra donc à la question : pourquoi écrire un texte érotique hétérosexuel au féminin ?

Un débardeur laissant apparaître cette bande de peau juste au-dessous de l’aisselle, un jean slim dessinant la jambe, une chemise aux boutons un à un déboutonnés…

Pour être désirante

Dans ces textes, j’ai tenté de me mettre du côté des désirantes. D’avoir envie. Et d’exclure la question de ma désirabilité (suis-je assez désirable pour mériter d’avoir envie ?) et de ma représentation (je ne souhaite pas me mettre en scène, me faire désirer, là c’est moi qui désire). Envie de voir ce qui me fait plaisir à moi (quelqu’un peut très bien ne pas être excité.e par ce qui m’excite). Envie d’être du côté du désir, pas de l’amour ni même de la relation. Sachant que je suis en couple, que j’ai deux enfants et que, révélation, même pour ces femmes-là , le désir ne se limite pas à ce qui se passe derrière la porte de la chambre à coucher parentale. Ces textes, par le truchement de chaque pièce du vestiaire vue sous un angle érotique, sont une invitation à la rêverie, à la multiplication des objets de désirs.

Toutefois, cette question de l’expression des désirs est complexe, d’un côté on voit à quel point on a amputé les femmes de tout un imaginaire (est-on en mesure de faire une cartographie des désirs féminins, hétéro ou pas d’ailleurs, à la mesure du catalogue de you porn ?) et que mettre en scène ce désir est d’une grande importance pour créer de nouvelle formes de représentation de la sexualité ( quelques exemples à voir, à écouter : la fiction radiophonique Les chemins de désir de Claire Richard, les photos et les films de Romy Alizée ou le site porno audio Voxx….). Mais de l’autre côté, il nous faut également garder à l’esprit que si la liberté de désir est totale à l’intérieur de nos cerveaux, il n’en est pas de même dans le réel et dans la relation avec l’autre où la question du consentement est centrale. Ne pas faire comme tous ces hommes qui pensent que la réalisation de leurs désirs leur est dus au mépris même du désir de l’autre. Ne pas baiser seul.e en somme. 

… des fesses moulées dans un jean, un pantalon feu de plancher qui dévoile les chevilles, un short qui montre les jambes…

Parce que j’aime regarder les hommes et érotiser leurs vêtements

S’il y a une vraie tradition d’une imagerie érotique et pornographique masculine gay ( MappelthorpeTom of Finland, le clip Relax de Francky Goes to Hollywood….), l’imagerie érotique hétérosexuelle créée par des femmes pour des femmes n’est pas très importante (euphémisme), peut-être les couvertures des livres érotiques avec les hommes avec des gros biscottos mais je ne sais pas si elles sont créés vraiment par des femmes… Deux travaux récents peuvent tout de même cités : I love Dick, série de Jill Soloway adaptée d’un roman de Chris Kraus où une cinéaste se prend d’une passion érotique et artistique pour un homme (ou plutôt ce qu’il représente) et en fait sa « muse » sans vouloir développer de relation avec lui. Il y a aussi le projet photographique Lusted Men qui se propose de mettre en place une collection de clichés érotiques d’hommes réalisés principalement par des femmes (allez voir leur Instagram, c’est très agréable, même si perso, je suis plutôt mecs habillés/déshabillés que nus).

L’enjeu dans ces travaux (j’y inclus les miens), ce n’est pas tant d’objectiver les hommes comme eux le font avec les femmes mais d’explorer nos désirs sans attendre qu’un homme viennent nous les révéler et aussi de décaler ces désirs du système de l’échange économico-sexuel (sexe contre rétribution, financière ou autre, théorie de Paola Tabet ) qui régit encore l’imaginaire sexuel standard hétéro. C’est pouvoir dire : je n’ai pas besoin d’un mec avec du flouze, j’en ai, je n’ai pas besoin d’un homme qui me protège, je m’en charge. Ça dégagé, on peut commencer à jouer.

Titien, Danaé reçoit la pluie d’or (1554)

Je pense aussi que le désir commence tout juste à s’exprimer de façon décomplexée parce que désirer explicitement pour une femme est toujours une mise en danger, le danger d’être prise pour la fille « facile », la salope. Mise en danger qui peut aboutir encore aujourd’hui à l’agression et à la mise au ban de la société. Ce désir doit donc s’exprimer dans un lieu safe.  L’écriture est un lieu safe pour moi. 

Pourquoi le vêtement d’ailleurs ? D’abord, j’ai toujours aimé regarder les hommes, la façon dont ils s’habillent et je remarque depuis une dizaine d’années que de plus en plus d’hommes « s’habillent », choisissent leurs vêtements avec soin, se construisent un style, ce que j’apprécie beaucoup (j’ai été ado à une époque où le top de la mode masculine était de porter un jean sale troué, une chemise bûcheron sale, et des fringues toujours trop grandes, on revient de loin, merci Nirvana). De plus, je suis joueuse. Contrairement au vestiaire féminin qui est basé lui sur un système ouvert, où l’accès au corps est mis en scène avec force jupette, zip, nœuds, boutons, fente, trous montrant la peau, le vestiaire « masculin » traditionnel, lui, est basé sur un système fermé. Le corps est largement recouvert, les ouvertures limitées – la pitié me prend tous les étés à la vue de ces cadres/costard à qui on refuse le short, la petite robe ou la sandale et qui crèvent de chaud. Ces vêtements nous répètent doucement mais sûrement « je ne suis pas pénétrable, je ne suis pas pénétrable, je ne suis pas pénétrable ». Alors dans ce cadre rigide, la moindre ouverture devient support à la rêverie. Et comme je ne suis pas particulièrement sensible à l’esthétique torse nu, pecs et biscottos, je préfère m’enfouir dans les failles de l’armure.

Pour ne pas cacher la problématique du désir dans un contexte de domination

J’ai commencé à écrire dans une volonté de légèreté d’expression du désir et pourtant j’ai été assez vite confrontée même dans la solitude de l’écriture, même dans l’expression de fantasmes à la question de la violence sexuelle qui est inscrite dans mes désirs-même : pourquoi je ne regarde pas la bosse du sexe des hommes sous leur jean, pourquoi je n’aime pas la mise en scène de la musculature, pourquoi les signes de puissance masculine m’effraient et me répugnent à la fois. Et de constater que désirer des hommes n’a rien de simple dans le système de domination masculine qu’est le nôtre où l’immense majorité des femmes a été agressée, harcelée, insultée sexuellement par des hommes au moins une fois dans leur vie. Comment rester complètement légère dans cette situation ?  Impossible pour moi. J’ai donc choisi de ne pas cacher la façon dont cette violence sexuelle généralisée pouvait resurgir lors de l’écriture de ces textes.

…une chemise aux manches retroussées, un T-shirt décolleté laissant apparaître le jeu des clavicules et les poils du torse

Être hétérosexuelle, c’est quand même un peu coucher avec l’ennemi, et le désir et l’amour que provoquent certains hommes chez moi est à la mesure de la peur et du rejet provoqués par d’autres. Ce projet d’écriture reflète cette ambivalence. Et pour celles et ceux qui sont intéressé.e.s par la vêture masculine, le prochain épisode sera consacré aux zips, boutons et autres trous, ouvertures dans l’armure où peuvent s’engouffrer nos langues mentales.

Isabelle Querlé

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