Il y a une chose que j’ai non pas retrouvée dans mes boîtes de carton (parce que je ne collectionne pas les souvenirs de mon passé) mais dans ma mémoire : quand j’étais petite et au primaire, je vouais une adoration quelque peu maladive à … Barbie. Recontextualisation : j’ai peut-être cinq ou six ans, tous les enfants autour de moi sont plutôt des filles et toutes ces filles aimaient Barbie et j’aimais Barbie autant qu’elles. Mais permettez-moi de vous surprendre : des raisons de l’aimer, j’en avais qui m’étaient clairement conscientes, c’est-à-dire que, du haut de mes cinq piges, je savais exactement pourquoi j’aimais Barbie. Il se trouve que je vivais dans un pays où les contrefaçons de DVD allaient bon train et que certains de ces dernières se trouvaient dans la vidéothèque familiale. Parmi eux, des DVD (sûrement achetés parce que je les avais glissés dans le panier de courses alors que maman m’avait dit non) des aventures de Barbie. Je vous vois venir : vous imaginez déjà un scénario un peu nunuche où Barbie gambade à moitié sotte, à moitié habillée de sa robe de princesse à travers les champs tout en sifflotant niaisement qu’elle attend Ken venir la cueillir pour l’amener avec lui dans son palace 5 000 carats. Je ne vous en veux pas, si l’un d’entre vous sourit parce que cette image correspond peu ou prou à l’image mentale de Barbie qui vous trotte encore dans la tête, c’est qu’il y a bien une raison à cela. Retour vers mon enfance où Barbie, l’esprit de Barbie et ses dérivés proliféraient. Je me propose de vous plonger dans le bain de la cinématographie en vous exposant des souvenirs que j’analyserai à travers deux prismes : celui de la petite fille d’antan et celui de la femme de maintenant.

Connaissez-vous le test de Bechdel-Wallace ? Je vous l’explique en guise d’introduction à mon propos. Il nous servira à nuancer l’image mentale stéréotypée qui surgit dès qu’on mentionne Barbie. Même s’il ne garantit pas l’absence de sexisme dans le film ni sa qualité, ce test donne un premier indice sur le taux de représentation des femmes dans une œuvre cinématographique. Pour qu’un film le réussisse, il lui suffit de remplir chacun de ces critères de façon cumulée (i.e. il faut impérativement que le premier critère soit présent pour que le deuxième soit validé, etc.) :
- l’œuvre a deux femmes identifiables (elles portent un nom) ;
- elles parlent ensemble ;
- elles parlent d’autre chose que d’un personnage masculin.
Étonnamment ou non, tous les trente-huit long-métrages de Barbie le passent haut la main. Ainsi, nous retrouverons toujours dans ces films au minima deux personnages féminins indentifiables (mais me direz-vous, c’est un film éponyme d’un personnage qui est déjà une femme donc oui, ça compte moins). Ça n’empêche que : critère n°1 check. Puis, ces deux personnages se parleront toujours, critère n°2 check et ce sera, quelques fois d’hommes, mais également de sujets plus variés mêmes s’ils seront souvent des stéréotypes se rattachant à des activités jugées féminines : les discussions autour de l’apparence en est un exemple flagrant.
Je vous propose un zoom sur le premier film d’animation de Barbie sortie en 2001 « Barbie : Casse-Noisette ».
1) Quatre minutes chrono : critères combo
Si
vous allez sur YouTube, vous retrouverez une version française de ce
film qui a littéralement bercé nombre de mes week-ends d’enfant. Activez
la lecture et poursuivez sur les quatre premières minutes. Voilà, il
vous suffira de ce court instant un peu douloureux pour les yeux
(absence de qualité HD oblige) et pour les oreilles (doublage français)
pour que les trois stades du test de Bechdel-Wallace soient franchis.
Récapitulation. Critère n°1 : on croise quatre personnages féminins identifiables : Barbie et sa sœur Kelly puis Clara et sa Tante Elizabeth Drosselmayer. Critère n°2 : elles parlent toutes entre elles. Critère n°3 : ces deux couples parlent respectivement de danse et de voyage.
Fin de cette sous-partie.
2) Pros & Cons
Pourquoi est-ce que je me tue à vous convaincre d’un certain « sérieux » des films Barbie ? En fait, mon argumentation en a tout l’air mais il ne poursuit finalement pas ce but. Je me remémore l’enfant que j’étais et quand j’étais ado et que je me surprenais à repenser à mes années d’enfance, je me retrouvais souvent à porter le profond désir d’oublier cette période de ma vie. Vers quinze ans et jusqu’à très récemment, même si personne ne pouvait entendre ni voir mes pensées, je ressentais une honte d’avoir pu un jour avoir pour icône une telle représentation limitée, genrée et stéréotypée de la femme. Le rose me faisait vomir tandis que j’avais déjà opté en toute conscience pour des couleurs plus neutres, voire masculines. Je me souvenais de ma trousse rose ornée de la tête blonde de Barbie incrustée dans un cœur blanc. Le sac à dos assorti. Deux objets pour lesquels j’avais fait des pieds et des mains. Ces moments d’absence durant lesquels je me concentrais sur le passé, je les faisais se dissoudre dans la réalité en secouant rapidement et durement ma tête. Ma réalité maintenant, c’était le déni d’une quelconque affiliation à ce que je n’arrivais pas encore à identifier en tant qu’attitudes genrées comme ça été défini par les penseurs du sexisme. Aujourd’hui, je suis plus indulgente avec la petite moi : bien que j’ai pu faire chier toute ma famille pour qu’elle finisse par mettre les DVD, les trousses et les sacs à dos dans le panier de course, en ayant ce genre de comportement, je répondais surtout à des schèmes du genre que j’avais incorporés après avoir remarqué que ma meilleure copine portait des pantalons roses ou que les filles de la classe au-dessus s’échangeaient les feuilles parfumées et pastelles Diddle. Tout ça a nourri cet amour maladif que j’avais pour Barbie et longtemps, je m’en suis voulue pour avoir eu un comportement qu’en fait la société m’aidait à provoquer. De plus, j’essaye de me remettre dans les bottes de la petite fille que j’étais pour comprendre, au-delà du mimétisme, ce qui a pu nourrir cet amour inconditionné. J’avoue assez platement que regarder un film représentait un passe-temps non négligeable en termes de relaxation auquel je m’adonnais sans qu’on ait eu jamais besoin de m’y forcer. Je dirais également qu’il soit possible que mon attachement à Barbie puisse s’expliquer par le fait que je ressentais quelque chose de puissant qui émanait d’elle. Quoi alors ? Oui, voilà : des valeurs. Quoi qu’on puisse dire sur le fait que la sagesse n’est que l’apanage des cheveux blancs, je sais que mes vingt ans d’aujourd’hui me permettent déjà de regarder vers ce passé dont j’ai été longtemps honteuse avec plus d’indulgence et de critique. Malgré tout, Barbie m’a apportée ces valeurs sur lesquels je n’arrivais pas à mettre des mots et que je préfère incarner aujourd’hui à travers des figures quand même plus classes mais dont je ne renie plus le lien avec Barbie. Pour cette fille qui n’a pas su les nommer, je souhaite le faire pour elle : par ses rapports quasi-exclusifs avec les femmes de son entourage, Barbie m’a fait comprendre que la relation inter-féminine pouvait être tout autre chose que celle de la compétition et de la haine. C’est aussi parce qu’elle faisait en sorte d’être maîtresse de la situation que j’ai acquis cette espèce de conscience qu’il fallait que je me comporte ainsi quand le contrôle de la situation se barrait d’entre mes doigts. Pour ces deux contributions que j’ai pu te trouver, Barbie, je te remercie et pourquoi pas à une revoyure quand je me serais rendue compte que tu m’aurais peut-être également inculquée une autre de ces symboles qui servent à conduire notre vie ?
3) N’oubliez pas la critique
La feminin touch, c’est la manifestation la plus flagrante de l’objectification de cette dernière. Développée par Talcott PARSONS (bien que je n’aie pas pu trouver un article scientifique qui en parle exclusivement), cette théorie pointe un aspect comportemental troublant de la part de la femme. Découlant du partage des rôles entre l’homme qui s’occupe à ramener l’argent et la femme qui se cantonne à la sphère familiale, cette attente sociétale instrumentalise le comportement même de la femme dont on espère une certaine grâce dans les mouvements comme si elle ne devait qu’effleurer les choses de sa « délicatesse naturelle ». Je laisse votre imagination qui s’emballe compléter le tableau que je voulais brosser comme exemple.
Dans
les films de Barbie, cette donnée se retrouve aussi systématiquement
que le fait que Barbie soit toujours habillée de rose. Parfois, petite
folie du studio Martell qui produit et distribue ces dessins animés, on
habille d’autres personnages de bleu, de vert, de je ne sais quoi qui ne
soit rose pour diversifier un peu la palette. Même si je pense qu’ils
ne veulent pas chambouler l’image de Barbie qu’ils ont construite autour
du rose qui fait de cette couleur un trait essentiel de la marque, je
pense aussi que s’ils devaient provoquer cette subversion, les
tentatives qu’ils tentent aujourd’hui pour « désexismer » Barbie prendront
alors une vraie allure de révolution.
Pour en revenir aux films, on
remarquera également qu’ils entretiennent le mythe de la femme épilée à
souhait et maquillée quelle que soit la circonstance. Exemple flagrant
quand Barbie, malgré le fait qu’elle ait grandie sur une île déserte,
semble aussi fraîche que si elle avait vécu dans le confort de la
civilisation. Un mythe qui n’est que l’extension de ce dernier est celui
qui porte à approuver que les femmes soient capables d’un multitasking
absolu de sorte que les Barbies mousquetaires combattent en robe et en
hauts talons. Visualisez la technicité de la chose et dégagez-en la
difficulté qui la rend tout de même absurde. Last but not least, la
représentation du corps féminin autant dans les films que pour les
poupées Barbie répond encore totalement aux canons de la femme élancée,
fine, écharpée dans une taille de guêpe qu’on condamne seulement pour le
fait qu’ils deviennent la seule norme en vigueur.
Pour
pousser plus loin cette immersion dans mon enfance, je vous invite à
aller consulter les dernières polémiques dans lesquelles est impliquée
le pseudo progressisme de l’entreprise Mattel
qui tentent de promouvoir une égalité des représentations entre les
hommes et les femmes mais qui le font sur fond de rose et de paillettes
enchantées.

LIENS :
- Mediapart : Vous avez dit Barbie féministe ? Pas tout à fait.
- Pour un premier parallèle avec les princesses Disney : « Buzzfeed : On a classé les films de princesses Disney selon leur féminisme »